Médicament: sale temps pour les labos
Première leçon à tirer de l’affaire de la grippe A/H1N1, l’impact très négatif des conditions dans lesquelles l’achat des vaccins s’est déroulé au cours des dernières semaines. La confusion entre les instances de décision, de conseil, et les entourages ministériels n’a évidemment rien arrangé et l’opinion retiendra, sommairement, que le lobbying a joué en faveur des labos les mieux représentés: vrai, faux? Rien ne sert de démentir, le mal est fait.
Cette polémique ne fait à l’évidence pas l’affaire des industriels déjà très décriés durant l’année 2009 pour avoir licencié nombre de visiteurs médicaux quelques mois avant d’afficher des profits records. Difficile à vendre. Surtout quand on cherche, et avec quel soin, à donner de cette industrie une image moins négative que celle que véhiculent -feu à volonté!- médias et politiques.
L’industrie ne parvient pas à se défaire de cette réputation qui lui est faite, à savoir celle de ne produire que des médicaments « rentables », et donc de ne rien faire dans la recherche de spécialités susceptibles de guérir les maladies rares ou orphelines. Cette industrie traîne encore comme un boulet sa dépendance des financeurs publics qui laissent pieusement dire qu’elle réalise des profits considérables grâce à un système de santé des plus dispendieux qui soit. Les députés ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en votant lors du débat sur le PLFSS un amendement prévoyant un abaissement du fameux taux K de 1,4% à 1%. Petite explication: plus ce taux est bas -les socialistes voulaient même le faire descendre à 0,5%- , plus la contribution des labos au financement de l’assurance maladie (eh oui, il s’agit bien d’une taxe) est élevée. Dit autrement, cela s’appelle faire les poches.
Et personne ne pleurera! Car, là encore, dans un tel contexte de déficits cumulés, l’opinion ne manquera pas d’applaudir sans réserves. Il s’est même trouvé deux députés UMP pour faire voter un autre amendement obligeant les médecins à prescrire presque exclusivement en géneriques: pour la petite histoire ces deux amendements ont été « conseillés » par le gouvernement. Dans les ventes au enchères, cela s’appelle faire le « baron », c’est-à-dire orienter l’enchère dans le sens du vendeur ou de l’acquéreur mais en prenant soin de ne pas laisser faire le marché. Le plus drôle de l’histoire, c’est encore que ces deux amendements ont été votés pendant que le chef de l’Etat prodiguait force bonnes paroles aux membres du CSIS, le Conseil supérieur des industries de santé, réuni après plus de trois ans de supplications de la part des industriels qui n’arrivent pas à obtenir que leur secteur soit considéré comme une industrie « stratégique ».
C’est peu de dire que ces mêmes industriels, habitués à la posture des Bourgeois de Calais, -posture qui leur convenait à l’époque, encore récente, où tout allait bien-, se font aujourd’hui bien du souci. Pourquoi? Parce que le marché s’est assez brutalement désorganisé. Qu’on en juge: fin des blockbusters, offensive tous azimuts en faveur des génériques, multiplication des instances de décision et de contrôle limitant sérieusement l’accès au marché. Fichu métier!
Le casting des autorités de santé s’est en effet considérablement enrichi au cours des dernières années. Et leurs compétences, très floues, n’ont pas facilité la tâche des industriels. Le cas de la HAS qui a acquis (et sans crier gare) des compétences médico-économiques particulièrement retorses n’a pas déchaîné les passions. Sauf à la CNAM -premier financeur public- où l’on a encore du mal à déglutir. Le modus operandi de l’accès au marché s’est lourdement complexifié au point qu’il est aujourd’hui permis de se demander qui décide vraiment: La HAS, l’ASSAPS, le CEPS, la ministre ou… tout le monde à la fois? Le cas des baisses de remboursement ou des déremboursements de certains médicaments à SMR faible ou insuffisant est révélateur des atermoiements des uns comme des autres. Le devenir de ces spécialités bannies, l’automédication, devient d’autant plus incertain que les patients ne se pressent pas pour acheter en officine -et à prix salés- des produits dont la Sécu (ni les mutuelles) ne veulent plus entendre parler.
Avec envie, les industriels du médicament regardent la situation des banques: voilà des entreprises qui, pour la plupart, se sont vraiment mal conduites au point de manquer le naufrage de peu, à qui l’on a prêté de l’argent pour… recommencer à exercer leur métier sans trop soucier de savoir ce qu’ils allaient en faire. Si l’on met en parallèle les autorités décisionnaires et les procédures qui règlementent les activités de santé, et celles qui ont la charge d’apporter un peu de clarté dans les métiers de banque, on constate très vite qu’il vaut mieux être banquier qu’industriel du médicament… Côté autorités de santé justement, le mille-feuilles infernal a gagné une nouvelle couche de crème: il s’agit bien sûr des nouvelles instances régionales prévues par la loi HPST, dite loi Bachelot, en l’occurrence les ARS, dont la mise en service est prévue pour le printemps 2010. Personne ne veut croire que ces Agences régionales de santé, dont les compétences sont étendues, resteront inertes: elles auront leur mot à dire dans tous les chapitres de la santé publique. Elles pourront d’ailleurs prendre des décisions qui in fine seront susceptibles d’être validées par la HAS: cela revient-il à dire qu’elles mettront leur nez dans les produits de santé? Et pourquoi pas?
Tout cela fait sans doute d’excellents Français comme le disait la chanson durant la Drôle de guerre, mais tout cela fait aussi beaucoup d’interlocuteurs. Sans oublier la Commission européenne qui organise des « descentes » dans les labos suspectés de ne pas respecter les bonnes règles de concurrence en prolongeant par exemple la vie de molécules princeps pour empêcher ou retarder l’arrivée de génériques. Bilan (paradoxal): 2009 est une mauvaise année pour les labos. Si, si…
Hervé Karleskind © www.hkconseils.com