Industrie du médicament: le Leem réclame des mesures d’urgence pour consolider les positions françaises
Le Leem publie deux études inédites qui dressent un état des lieux détaillé et prospectif de l’appareil productif de médicaments en France. Si la France demeure une grande puissance industrielle du médicament, elle est confrontée aujourd’hui à un recul des investissements, au vieillissement du portefeuille de produits et à des difficultés à capter les nouvelles productions. Le leem appelle les pouvoirs publics à prendre des mesures d’urgences afin de consolider les positions françaises.
Etudes 2014 A.D.Little et Berger portant sur la… par LeemFrance
La première étude, menée par le cabinet Arthur D. Little à la demande du Leem et de Polepharma, porte sur le niveau et la nature des investissements réalisés dans l’appareil productif français de médicaments et de vaccins. Elle révèle qu’en 2013, les 224 sites pharmaceutiques et biotechnologiques français ont investi 810 millions d’euros, ce qui correspond à un recul de 120 M€ par rapport à la dernière enquête, qui portait sur l’année 2010.
La majeure partie de ces investissements (60 %) a été réalisée sur des sites de production de médicaments chimiques, produits souvent matures et exposés à court ou moyen terme à la concurrence des génériques. Relativement modestes (entre 1 et 5 M€ en moyenne par site), ces investissements ne visent généralement pas à développer les capacités de production ou à conquérir de nouveaux marchés, mais à adapter l’outil de production aux évolutions réglementaires.
Les investissements réalisés sur les sites biologiques (vaccins notamment) représentent quant à eux 40 % des investissements observés sur la période. Moins émiettés car répartis sur une trentaine de sites seulement, ils sont souvent d’une plus grande ampleur et viennent soutenir la mutation vers le biologique. Visant à l’extension des capacités et au développement vers l’export, les investissements sur les sites biologiques ont, pour la plupart, été décidés il y a plusieurs années (4 ou 5 ans), et sont maintenant entrés en fin de cycle.
Sur un plan général, la baisse des investissements observée ces trois dernières années soulève aujourd’hui des questions sur la croissance future de la production industrielle française. « Les sites de production, particulièrement ceux d’origine française hors ″Big Pharma″, ont assez peu investi pour aller chercher la croissance à l’export hors d’Europe », soulignent les auteurs de l’étude. Ainsi, plus de 2/3 des sites implantés en France ne sont pas homologués pour exporter vers les Etats-Unis, pourtant premier marché mondial des produits de santé. Pour les sites dépendants de laboratoires établis hors de France, la décision d’investissement échappe très souvent (dans 80 % des cas) aux responsables de sites. Or, vu des sièges internationaux, la complexité et l’imprévisibilité du système français ne sont pas contrebalancées par une perception plus fine des atouts français, et sont souvent jugées dissuasives.
Une concurrence avant tout européenne
A ce constat de lente évaporation des investissements, s’ajoute celui d’une fragilisation de l’appareil productif. Le cabinet Roland Berger s’est attaché, à la demande du Leem, à cartographier le tissu industriel pharmaceutique et à en analyser les forces et faiblesses. Côté forces, la France demeure une grande puissance industrielle du médicament, avec une contribution majeure à la balance commerciale (+ 8,8 Md€ en 2013), une place de n°2 en Europe en termes d’emplois industriels (autant que l’aéronautique), et une valeur sociétale (charges sociales, impôts et taxes rapportés au pays) de l’ordre de 7,2 Md€.
Mais en dépit des importants atouts reconnus aux sites français, en termes de savoir-faire, d’équipements, de productivité, les signaux de vigilance s’accumulent. L’instabilité des décisions politiques, le poids de la fiscalité, la complexité du droit social français et l’impact de l’évolution des prix en France jouent un rôle important sur les décisions d’investissements.
Plus préoccupant, les 40 800 emplois directs de production pharmaceutique sont générés par des molécules chimiques (pour 85 % d’entre eux) et à forte maturité (pour 75 % d’entre eux). Ces emplois sont particulièrement exposés, puisque les produits dont ils dépendent sont faiblement pris en charge, positionnés sur des prix modestes, et exposés à court ou moyen terme à la concurrence des génériques.
En dépit de son leadership dans la production de vaccins, la France affiche des performances décevantes sur la production de médicaments biologiques (elle ne produit que 3 % des anticorps monoclonaux consommés localement) et de médicaments nouveaux. « La France est en forte difficulté pour capturer les lancements de médicaments et assurer le renouvellement de son activité industrielle, précise l’étude. La concurrence est avant tout européenne ». Sur les 130 nouvelles molécules autorisées en Europe en 2012-2014, seulement 8 seront produites en France. Par comparaison, l’Allemagne en produira 32, le Royaume-Uni 28, l’Irlande 13, de même que l’Italie.
Des mesures d’urgence pour maintenir et renouveler la production française
Les études réalisées par Roland Berger et Arthur D. Little confirment en grande partie les projections réalisées en 2012, déjà à la demande du Leem, et formulent aujourd’hui une série de préconisations dont certaines sont déjà défendues par les industriels :
– Pour préserver les volumes de production des médicaments traditionnels et les emplois qui y sont rattachés, les deux cabinets préconisent notamment de favoriser l’investissement et la localisation en France par l’outil fiscal (crédit d’impôt sur les taxes pharmaceutiques), par la valorisation de la production locale dans la fixation du prix ou encore par la reconnaissance d’un ″Label Europe″ dans les procédures de marchés publics. Ils conseillent d’encourager la production en France de médicaments génériques en simplifiant la production précoce d’ ″autogénériques″ par les détenteurs de princeps et en valoriser la production France/Europe dans la fixation des prix. Enfin, en matière d’export, ils recommandent une simplification des procédures d’exportation et une aide (sous forme de crédit) pour l’homologation des sites.
– Pour stimuler l’investissement dans les productions d’avenir (notamment la bioproduction), les deux cabinets d’études préconisent d’améliorer les conditions d’accès au marché, notamment par une réduction des délais d’obtention des autorisations de mise sur le marché, des évaluations du service rendu et de la fixation des prix. Ils recommandent plus de cohérence dans la régulation des prix, notamment par une stabilité des prix pour les produits très innovants ou par la mise en place d’une vision pluriannuelle des niveaux de prix. Enfin, concernant les capacités de bioproduction, les auteurs des deux études conseillent la mise en place d’un guichet unique permettant la concentration des capacités de bioproduction et une structuration de l’offre de formation.
« Nos grands voisins européens ont compris que, pour attirer les investissements en santé, il fallait agir de façon volontariste en termes de régulation, de fiscalité, d’accès au marché ou de normes sociales. Ils ont compris qu’il fallait réunir les conditions de la visibilité, de la lisibilité et de la prédictibilité, et offrir aux entreprises des perspectives sur trois à cinq ans, analyse Patrick Errard, président du Leem. Notre pays a longtemps été présenté comme une référence en matière de recherche, de production et d’accès à l’innovation dans le domaine pharmaceutique. Dans tous ces domaines, l’image qu’elle véhicule est aujourd’hui brouillée. N’attendons pas pour redresser le cap et doter notre pays d’une vraie politique industrielle. Quand on aime l’entreprise, on préserve son outil de production ».
Consulter les études (*) Roland Berger et Arthur D. Little
* Réalisées par les cabinets Arthur D. Little et Roland Berger, ces études sont présentées dans le cadre d’un colloque que le Leem et Polepharma organisent à Paris sous l’intitulé : « Production pharmaceutique : la France face à ses responsabilités ! ».