Décupler la puissance d’un antibiotique pour traiter la tuberculose
Une équipe de chercheurs de l’Inserm, de l’Institut Pasteur de Bruxelles et du CNRS, a élaboré un médicament qui rend le bacille de la tuberculose hyper-sensible au traitement antibiotique déjà existant. Les premiers essais chez la souris montrent que cette approche pourrait permettre de réduire d’au moins trois fois la quantité d’un des antibiotiques utilisé pour lutter contre la pathologie.
A terme, cette stratégie a pour objectif d’éliminer les effets secondaires toxiques du traitement antibiotique et ainsi, d’augmenter son observance par les malades, clé de la guérison. Ces travaux viennent d’être publiés dans l’édition avancée en ligne de Nature Medicine.
« Une croissance importante du nombre de cas »
Mycobacterium tuberculosis est l’agent causal de la tuberculose. Annuellement, près de 10 millions de personnes déclarent cette maladie et plus d’un million et demi en meurent dans le monde (OMS, 2009). La Chine et l’Inde hébergent deux tiers des malades, et l’Afrique est très affectée car le Sida favorise le développement de la tuberculose. Les populations paupérisées des pays occidentaux ne sont pas non plus épargnées. Ainsi, plusieurs pays de l’Union Européenne connaissent une croissance importante du nombre de cas. La mondialisation des transports, les flux des populations migrantes, le tourisme favorisent même l’émergence de cas au sein des populations les plus nanties.
½ million de cas de tuberculose multirésistante déclarés par an
Cette maladie requiert un traitement antibio-thérapeutique long et souvent rendu pénible par les nombreux effets indésirables des médicaments. Ces contraintes poussent de nombreux malades à un mauvais suivi de leur médication, voire à son abandon prématuré. De cet épisode peuvent alors émerger des bactéries devenues résistantes au traitement. La rechute est rapide et la personne doit être traitée par une seconde ligne d’antibiotiques difficiles à doser car encore plus toxiques. Les chances de succès s’amenuisent fortement. Actuellement, ½ million de cas de tuberculose multirésistante sont déclarés chaque année, aboutissant au décès d’un quart des malades concernés. Dans certains pays de l’ex-bloc soviétique, la multirésistance concerne 22% des nouveaux cas de tuberculose.
Une intervention thérapeutique de lutte contre la tuberculose est proposée ce mois-ci dans Nature Medicine par le consortium de recherche pluridisciplinaire, composé des équipes lilloises d’Alain Baulard (Unité Inserm 629 «Mécanismes moléculaires de la pathogénie bactérienne» dirigée par Camille Locht), de Nicolas Willand (Unité Inserm 761 « Biostructures et découverte de médicament » dirigée par Benoit Déprez), de Vincent Villeret (équipe CNRS UMR81611, « Approches structurales et fonctionnelles de la pathogenèse ») et du groupe Bruxellois de Pablo Bifani (Institut Pasteur de Bruxelles, Pathologie moléculaire de la tuberculose).
Ces travaux ont débuté il y a près de 10 ans avec la découverte par Alain Baulard, chargé de recherche à l’Inserm, et son équipe, d’un gène de Mycobacterium tuberculosis contrôlant le niveau de sensibilité du bacille à plusieurs antibiotiques utilisés pour traiter les patients atteints de tuberculose multirésistante. Les chercheurs ont alors émis l’hypothèse que s’ils parvenaient à développer un médicament capable de lever ce contrôle, ils rendraient la bactérie plus sensible au traitement. L’objectif était en fait, une fois ces antibiotiques devenus plus efficaces, de les utiliser à plus faible dose afin d’entraîner moins d’effets toxiques et de favoriser ainsi un bon suivi thérapeutique par les malades, un facteur essentiel à la réussite du traitement.
En associant la chimie médicinale aux techniques de génie génétique, de radiocristallographie et de biophysique, le consortium de recherche a conçu, synthétisé et testé une molécule capable de modifier la sensibilité du bacille à plusieurs antibiotiques antituberculeux, dont l’éthionamide, utilisés dans le traitement des tuberculoses multirésistantes. Après plusieurs étapes d’optimisation in vitro, l’administration de cette molécule à des souris atteintes de tuberculose a permis de diminuer par trois la dose d’éthionamide nécessaire à leur guérison. À cette dose, l’antibiotique ne présente plus d’effet toxique, ce qui devrait favoriser l’observance du futur traitement par les malades.
C’est la première fois qu’une telle stratégie est proposée pour lutter contre une maladie infectieuse. Le consortium s’attelle maintenant à contrôler ou améliorer certaines propriétés de ces composés prometteurs, telles que leur stabilité dans l’organisme, leur solubilité, et leur compatibilité avec les autres antibiotiques du traitement. Bien que de nombreuses étapes restent à franchir avant d’autoriser les premiers essais chez l’homme, ceux-ci pourraient être envisagés pour 2012.
Pour en savoir plus
Source “Synthetic EthR inhibitors boost antituberculous activity of ethionamide” Nature Medicine, AOP, http://dx.doi.org/10.1038/nm.1950 ; Nicolas Willand, Bertrand Dirié, Xavier Carette, Pablo Bifani, Amit Singhal, Matthieu Desroses, Florence Leroux, Eve Willery, Vanessa Mathys, Rebecca Déprez-Poulain, Guy Delcroix, Frédéric Frénois, Marc Aumercier, Camille Locht, Vincent Villeret, Benoit Déprez & Alain R Baulard
Source : communiqué Inserm