Industrie du médicament : « une récession sans précédent » en France
Le Leem vient de dresser le bilan économique de l’année 2012 et les perspectives pour 2013 des entreprises du médicament. Selon le Leem, le secteur donne « des signes de plus en plus alarmants de décrochage ». En 2012, le chiffre d’affaires des médicaments en ville (remboursables et non remboursables) s’est élevé à 21,1 milliards d’euros (prix fabricant hors taxes), soit – 2,3 % par rapport à l’année 2011. Ce recul historique fait suite à deux années de quasi-stagnation (+ 0,3 %).
Pour les seuls médicaments remboursables, le marché a reculé de 3,3 % entre 2011 et 2012. Elément d’inquiétude supplémentaire, cette tendance va en s’accélérant (- 5,5 % au dernier quadrimestre 2012). Le marché hospitalier a, quant à lui, stagné.
Ce recul est essentiellement imputable à l’ampleur des mesures de régulation mises en place, ces dernières années, par les pouvoirs publics : baisses de prix, essor des génériques, référentiels de bon usage et Capi, durcissement des critères d’évaluation du médicament, encadrement des prescriptions hospitalières… « Autant d’instruments de maîtrise dont le cumul et l’ampleur n’intègrent pas les dimensions industrielles et de recherche du secteur, et qui s’ajoutent aux mécanismes de régulation conventionnelle Etat-Industrie qui ont déjà permis, ces dernières années, de maîtriser efficacement les dépenses de médicaments », estime le Leem.
La généralisation, en avril 2012, du dispositif « tiers-payant contre génériques » a fortement contribué à la chute du chiffre d’affaires de l’industrie pharmaceutique (– 806 millions d’euros de CA en année pleine sur les médicaments princeps concernés, pour 297 millions d’euros d’économies pour la Sécurité sociale).
On observe ainsi une disproportion croissante entre le poids du médicament dans les dépenses d’assurance maladie (15 %) et sa contribution aux efforts d’économies (plus de 50 %). Avec l’Espagne et l’Italie, cette tendance classe la France parmi les pays qui connaissent une récession significative de leur marché pharmaceutique, alors que des pays comme l’Allemagne ont su maintenir l’évolution de CA de leurs entreprises dans des valeurs positives.
Une rentabilité affectée par la fiscalité
La rentabilité des entreprises du médicament opérant en France est d’un niveau généralement inférieur aux autres pays occidentaux. Elle est affectée, en particulier, par le paiement de taxes spécifiques auxquels ne sont pas assujettis les autres secteurs industriels. Véritable variable d’ajustement des comptes publics, ces taxes ont représenté 4,2 % du chiffre d’affaires du secteur en 2012 et devraient encore augmenter en 2013 du fait de la nouvelle taxation des congrès scientifiques.
Le nombre d’impôts et de taxes applicables en France, et en particulier les taxes sectorielles, est supérieur à celui des autres pays européens. « Ce phénomène n’incite pas les groupes mondiaux à investir en France, et justifie l’effort d’attractivité engagé par l’Etat au travers du Crédit impôt recherche. Ce dispositif phare de la compétitivité française est toutefois insuffisant pour palier le défaut d’attractivité fiscale du pays », estime l’organisation.
Une reprise de la dynamique d’exportations, après une année noire
Après une année 2011 en net repli (- 8,7 % vs 2010), les exportations françaises de médicaments se sont ressaisies en 2012, avec une progression de + 14,8 %, pour un volume de chiffre d’affaires de 25,3 milliards d’euros. Ces bons résultats sont notamment liés au choix de la France par les groupes pharmaceutiques mondiaux pour y produire leurs médicaments, dans un contexte de renforcement de l’attractivité du territoire national jusqu’à 2011.
« Ces atouts sont néanmoins fragiles dans un contexte de concurrence entre Etats pour la localisation de la recherche et de la production de médicaments : la France, qui avait gagné de nombreux arbitrages entre 1993 et 2005, a ainsi perdu, entre 2010 et 2012, plusieurs décisions industrielles de localisation, lourdes de conséquences à moyen terme », souligne le Leem.
Quatrième année de baisse des effectifs
L’industrie du médicament a enregistré en 2011, pour la quatrième année consécutive, une baisse de ses effectifs directs. Le secteur compte 101 926 personnes en 2011, contre 103 900 en 2010 (- 1 974 emplois).
Le risque d’une aggravation de la situation dans les années à venir existe, dans les entreprises du secteur et chez leurs sous-traitants, les directeurs de ressources humaines anticipant une baisse de 1,2 % des effectifs sectoriels pour 2012. De nombreuses restructurations ont été annoncées depuis 2008, mais leurs conséquences sur l’emploi seront visibles sur les effectifs des années 2011 à 2014. En 2012, 27 plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ont été annoncés en France, impactant 4 438 postes, contre 2 734 postes en 2011 pour 28 PSE. Ces restructurations ont principalement concerné les métiers de la commercialisation et les fonctions support. Les études récentes montrent que les effectifs de production et de R&D pourraient également être prochainement impactés. Paradoxalement, ce contexte de réduction des effectifs s’accompagne de difficultés de recrutements pour certains métiers (maintenance industrielle, qualité…).
Une industrie française en décrochage
« Avec une contribution majeure à la balance commerciale française, avec plus de 100 000 emplois directs, avec plus de 200 sites de production, avec des investissements de près de 5 milliards d’euros annuels en R&D, les entreprises du médicament présentent toutes les caractéristiques d’un secteur de sortie de crise », estime Hervé Gisserot, Président du Leem. « Mais cet atout pour l’économie française est aujourd’hui menacé, faute de cohérence entre des politiques de régulation souvent brutales et court-termistes, et un pilotage stratégique de moyen et long terme ambitieux dans ses objectifs ».
La réactivation du Conseil stratégique des industries de santé (Csis) et du Comité stratégique de filière des produits de santé (CSF Santé), qui se réuniront le 5 juillet, constitue un signe encourageant aux yeux des industriels. Le résultat de ces démarches sera déterminant pour engager la restauration de l’attractivité française pour les investissements des groupes pharmaceutiques mondiaux. « Mais si la France veut conserver une industrie de santé forte et compétitive, prévient Hervé Gisserot, elle doit faire des choix clairs et s ‘y tenir : les efforts conjugués de l’Etat et des industriels ne seront d’aucun effet s’ils sont associés à une régulation toujours plus agressive et déséquilibrée. Notre industrie est aujourd’hui menacée de décrochage. »
Consulter le bilan économique sur le site du Leem