Michel Chassang: “entre la droite et les médecins, c’est le divorce!”
Déçu, en colère, le président de la CSMF, principal syndicat de médecins français, s’explique sur l’augmentation unilatérale du C à 23 euros à compter du 12 avril prochain. Et il ne ménage pas ses critiques: l’Elysée comme le gouvernement ne sont pas épargnés. Inventaire.
Mypharma-editions : Michel Chassang, comment avez-vous accueilli la décision de Nicolas Sarkozy d’engager une « grande concertation » sur les difficultés auxquelles est confrontée la médecine de proximité ?
MC : « Avec prudence… Mais aussi dans un esprit d’ouverture. Nous sommes prêts : ce n’est pas tous les jours que le président de la République se penche sur les problèmes de la médecine de ville. Alors, je dis : « Banco ! ». Mais j’aimerais cependant savoir ce que signifie « médecine de proximité ». Il doit s’agir de la médecine de ville… Il y a aujourd’hui une vraie crise des vocations en médecine libérale : la culture de la CSMF se refuse à considérer les spécialités par petits bouts. Nous sommes donc face à une crise globale de la médecine libérale. Pour ce qui est du souhait du président de la République, je voudrais faire remarquer que nous ne sommes toujours pas informés du contenu de cette concertation. Autant dire que nous l’attendons de pied ferme. En revanche, si c’est pour découvrir les ors de l’Elysée, on connaît… »
Mypharma-editions : Depuis le début de l’année, Nicolas Sarkozy a multiplié les signaux en direction des médecins libéraux : apparemment sans succès, puisque des enquêtes montrent que, comme lors des élections législatives de 1997, les médecins ont tantôt boudé les urnes, tantôt voté à gauche ou écologiste lors des dernières élections régionales. Entre la droite et les médecins, peut-on parler de divorce ?
MC : « Oui. En tout cas, c’est le début d’un divorce. Et le contexte n’est pas sans rappeler la crise de 1995 avec le plan Juppé. Si aujourd’hui on reparle de divorce, c’est parce que les médecins libéraux sont trahis par le gouvernement. Trahis, car ils sont considérés comme la variable d’ajustement du système de santé. Nous n’acceptons pas que le président de la République accuse sans cesse la médecine libérale : cela devient insupportable ! Les médecins libéraux subissent nombre de contraintes et d’humiliations : la loi HPST recèle nombre de petites et grandes humiliations, comme les contrats de solidarité, les autorisations d’absence, la taxe sur la télétransmission… La responsabilité de ce divorce est à mettre au compte des députés comme des politiques ».
Mypharma-editions : L’opinion publique ne comprend pas bien pourquoi vous appelez les médecins généralistes à augmenter unilatéralement le C d’un euro (23 euros) à partir du 12 avril. Comment justifiez-vous cette initiative, vivement condamnée par les caisses ?
MC : « Je ne le pense pas. Nous allons d’ailleurs expliquer cette décision aux patients en lançant une campagne de presse et d’affichage dans les cabinets médicaux. Nous comptons sur eux pour comprendre que nos interlocuteurs doivent respecter leurs engagements. Il s’agit bien sûr d’un bras de fer tarifaire, mais nous n’appliquerons pas cette augmentation de 1 euro aux patients en difficulté ».
Mypharma-editions : Vous venez d’être réélu pour quatre ans à la présidence de la CSMF, le plus important syndicat de médecins libéraux. Mais vous êtes déjà en campagne pour le scrutin des futures Unions régionales des professionnels de santé (URPS) : comment pensez-vous gérer le glissement de la CSMF vers une opposition forte, après avoir été le principal promoteur de la dynamique conventionnelle ?
MC : « Depuis 1928 la CSMF est un syndicat de combat. Dieu sait si c’est compliqué : un système qui combine un financement socialisé et un exercice libéral est lui-même porteur de conflits. Or, aujourd’hui, nous sommes dans une conjoncture comparable à celle de 1995, au moment du plan Juppé. Mais il va de soi que si le gouvernement daignait nous entendre, nous aviserions. Notre politique est simple : elle va dans l’intérêt du corps médical : c’est la tradition de la CSMF ».
Mypharma-editions : Parlons justement de la convention : où en est-on au juste ?
MC : « Mais nous sommes prêts ! Nous avons formulé 10 propositions pour un nouveau système conventionnel en juillet 2009. Mais la ministre, aidée en cela par deux syndicats, a torpillé les négociations, au prétexte d’organiser des élections professionnelles qui ne sont d’ailleurs toujours pas organisées. Bilan : depuis mars 2007, on a perdu au moins trois ans, si ce n’est plus ! La CSMF est prête. Mais le temps perdu sera difficile à rattraper ».
Mypharma-editions : Un dernier mot sur le Capi. Qu’espérez-vous de l’arrêt -évidemment très attendu- de la Cour européenne de justice ? Sur le fond, persistez-vous dans vos critiques ?
MC : « C’est un poison ! Nous ne sommes pas hostiles à un paiement des actes à la performance. Mais notre hostilité au Capi tient surtout à son évolution : je nourris les pires craintes sur l’avenir au fil des PLFSS successifs. Avec un ONDAM à 2%, les médecins « capistes » regretteront d’avoir signé. Nous avons déposé un recours en Conseil d’Etat contre un système qui court-circuite le système conventionnel, et nous sommes très attentifs à l’arrêt qui va être rendu par la Cour européenne de justice. Pour l’heure, j’observe que le nombre de signataires a tendance à refluer. Le procédé n’en reste pas moins extrêmement malhonnête. Mais j’attends le versement des premiers dividendes »…
Hervé Karleskind