Prendre des antalgiques pendant la grossesse n’est pas sans risque
Une équipe associant des chercheurs français, danois et finlandais vient de publier une étude suggérant qu’il existe une association entre la prise simultanée de plusieurs médicaments contre la douleur (ibuprofène, aspirine, paracétamol) pendant la grossesse et des risques de malformation de l’appareil génital chez les garçons. Le risque est particulièrement élevé au second trimestre de grossesse. Plus de 2297 femmes danoises et finlandaises ont été suivies. Les résultats de cette étude sont publiés dans la revue Human Reproduction.
Plus de la moitié des femmes en Europe et aux Etats Unis déclarent prendre des antalgiques tels que le paracétamol, l’ibuprofène ou l’aspirine pendant leur grossesse. Ces dix dernières années, de plus en plus d’études ont rapporté l’impact probable de divers agents environnement sur la santé reproductive masculine mais c’est la première fois que des molécules pharmaceutiques de ce type sont pointées du doigt.
Il est bien connu qu’une exposition à certaines substances, si elle se fait à un moment-clé de la grossesse peut avoir des incidences sur le développement du foetus. C’est pourquoi les chercheurs ont voulu savoir si de tels médicaments avaient de réelles conséquences chez les enfants dont les mères étaient consommatrices de ces substances.
Cette nouvelle étude suggère que les femmes danoises qui prennent de l’aspirine et/ou de l’ibuprofène (antalgiques) pendant leur grossesse voient le risque de donner naissance à des garçons présentant une anomalie de l’appareil génital (absence de descente des testicules dans les bourses appelée cryptorchidie), significativement augmenter par rapport à celles qui s’abstiennent d’en prendre. « Toutefois, ce risque existe au Danemark et dans la mesure où la prise de médicament s’étale sur au moins deux semaines consécutives. En outre, il est important de noter qu’il s’agit de la mise en évidence d’une association statistique pas de la preuve d’une relation de cause à effet. Enfin, ces résultats ne sont pas confortés par le suivi de la cohorte des femmes finlandaises » précise Bernard Jégou directeur de l’unité Inserm 625 « Groupe d’étude de la reproduction chez l’homme et les mammifères (GERHM) » à l’Université de Rennes 1.
Un risque particulièrement élevé au second trimestre
Le second trimestre de grossesse apparait comme la période la plus délicate. Durant cette période, la prise des anti-inflammatoires non-stéroïdiens aspirine ou ibuprofène augmente le risque chez le garçon de présenter une cryptorchidie à la naissance. Ce risque n’est pas identifié avec le paracétamol, qui n’est pas un anti-inflammatoire non stéroïdien. A ce stade, l’association démontrée ne signifie pas pour autant que la consommation d’antidouleur est la cause de la malformation retrouvée.
Des effets aussi chez le rat
L’équipe de l’Inserm dirigée par Bernard Jégou a étudié ce phénomène sur des cultures de testicules de foetus de rat pour essayer de comprendre les mécanismes mis en jeu. Lorsque les testicules en culture sont exposés au paracétamol ou à l’aspirine la production de testostérone diminue d’environ 50 %. Enfin, de leur côté les toxicologues danois impliqués dans l’étude démontrent que l’exposition de rattes gestantes à des doses élevées d’aspirine induit une diminution de la production de testosterone intratesticulaire. Ceci n’est pas retrouvé avec le paracétamol.
Bernard Jégou déclare que « d’autres études sont indispensables pour vérifier ces résultats chez les humains et en particulier sur des cohortes de femmes enceintes plus importantes et dans d’autre pays que le Danemark où l’incidence de la cryptorchidie est élevée ». Il est à noter qu’une autre étude épidémiologique indépendante de celle à laquelle Bernard Jégou a pris part et publiée dans le numéro d’Epidémiology de ce mois (Pr Olsen et ses collaborateurs) ne met pas en évidence l’association entre cryptorchidie et aspirine ou ibuprofène. Cependant, les résultats obtenus montrent une association entre la prise de paracétamol, pendant plus de 4 semaines au cours des deux premiers trimestres de grossesse et la cryptorchidie au Danemark.
Bernard Jégou, principal co-auteur français de cette étude tient à préciser que « ces résultats doivent être interprétés avec prudence, compte-tenu du contexte particulier du Danemark où l’incidence de la cryptorchidie et la consommation d’antalgiques sont particulièrement élevés ». Cette étude donne lieu à des échanges entre Bernard Jégou et l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), cette agence procédant elle-même à l’évaluation de l’ensemble des données disponibles.
Source : Inserm
Intrauterine exposure to mild analgesics is a risk factor for development of male reproductive disorders in human and rat
Human Reproduction, doi: 10.1093/humrep/deq323
First published online: November 8, 2010