Sevrage tabagique : une étude explique l’inefficacité des substituts à la nicotine à long terme
Une équipe de recherche du CNRS et du collège de France vient de prouver que la nicotine seule ne suffit pas à déclencher l’état de dépendance chez les fumeurs. D’autres composés du tabac s’avèrent indispensables pour en révéler le pouvoir addictif. Une découverte qui expliquerait l’inefficacité des substituts à la nicotine à long terme.
Ce travail, mené par l’équipe de Jean Pol Tassin, directeur de recherche à l’Inserm et publié dans l’édition avancée en ligne du Journal of Neuroscience révèle que si la nicotine n’est pas associée à certains composants du tabac, elle n’est pas addictive. Ce principal résultat issu des recherches menées par Jean Pol Tassin est un nouveau pas en avant vers la compréhension des mécanismes de la dépendance aux drogues.
Le « découplage » responsable des processus d’addiction
Ces deux dernières années (1), l’équipe de chercheurs a montré que les drogues comme la cocaïne, les amphétamines, la morphine, ou encore l’alcool entraînent une dissociation (ou « découplage ») entre deux ensembles de neurones, noradrénergiques et sérotoninergiques (2). Le premier ensemble est chargé de mettre en valeur les événements extérieurs, l’autre de réguler les impulsions. Les personnes dépendantes ressentent les stimuli environnementaux de façon plus intense (y compris le désir du produit) et perdent la possibilité de contrôler leurs impulsions. En temps normal, ces deux circuits de neurones se contrôlent mutuellement. Mais le découplage entre les deux entraine un déséquilibre qui semble responsable des processus d’addiction, la personne dépendante ne pouvant plus réfréner son attirance vers le produit.
Le potentiel addictif du tabac
La nicotine, contrairement aux autres drogues, n’entraîne pas ce découplage. Pour essayer de comprendre pourquoi le tabac possède, malgré tout, un très fort potentiel addictif, les chercheurs se sont donc intéressés à ses autres composés. Dans ce nouveau travail, les scientifiques prouvent que c’est l’association de nicotine avec d’autres produits contenus dans le tabac, les inhibiteurs de monoamine oxydases (IMAO), qui entraîne ce découplage. Plus précisément, ils montrent que les IMAO permettent de révéler les propriétés addictives de la nicotine parce que ces derniers annulent l’action d’une protection naturelle que possèdent les neurones sérotoninergiques vis-à-vis de la nicotine : le récepteur sérotoninergique 5-HT1A. L’effet de la nicotine sur la libération de sérotonine est si intense qu’il se produit en quelques fractions de secondes un « rétro-contrôle » qui bloque alors la libération de sérotonine. Ce phénomène de « rétro contrôle » n’est possible que lorsque ces récepteurs 5-HT1A jouent leur rôle protecteur. Sans cette protection, les neurones sérotoninergiques sont sur activés par la nicotine, ils se découplent et déclenchent le processus de dépendance.
« 80% des utilisateurs de patchs à la nicotine recommencent à fumer »
En conclusion de ce travail, les auteurs expliquent donc pourquoi les thérapies actuelles de sevrage tabagique échouent dans un grand nombre de cas. Chez les candidats à l’arrêt du tabac, les chewing-gums et les patchs sont efficaces au début du traitement, tant que les effets des IMAO persistent. Mais au bout de quelques semaines de sevrage l’absence de tabac (et donc d’IMAO), autorise le retour de la protection naturelle. La nicotine seule ne suffit plus comme produit de substitution.
Pour Jean Pol Tassin «Ces travaux pourraient contribuer à améliorer les approches de traitement de la dépendance à la nicotine. Ils remettent aussi en question l’efficacité des produits actuels de substitution au tabac et permettent de comprendre pourquoi, dans plus de 80% des cas, les utilisateurs de patchs et de chewing-gums à la nicotine recommencent à fumer après seulement quelques semaines. Une nouvelle composition alliant nicotine et des produits bloquant la protection naturelle due aux récepteurs 5-HT1A serait efficace comme substitut au tabac. Ceci pourrait être utilisé dans une nouvelle stratégie dans la thérapie du sevrage.»
Notes :
1] Un nouveau mécanisme explicatif de la pharmacodépendance
2]Ces neurones synthétisent et libèrent de la noradrénaline ou de la sérotonine. Deux neuromédiateurs qui contribuent pour le premier à réguler l’attention, les émotions, le sommeil, le rêve et l’apprentissage et pour le second à diverses fonctions comme la régulation de la température, le sommeil, l’humeur, l’appétit et la douleur
Références :
Inhibition of Monoamine Oxidases Desensitizes 5-HT1A Autoreceptors and Allows Nicotine to Induce a Neurochemical and Behavioral Sensitization
Christophe Lanteri,1,2 Sandra Jimena Hernandez Vallejo,2,3 Lucas Salomon,1,2 Emilie Lucie Doucet,1,2 Gerard Godeheu,1 Yvette Torrens,1 Vanessa Houades,1 and Jean-Pol Tassin1
1Centre National de la Recherche Scientifique, Unité Mixte de Recherche 7148, Collège de France, and 2Université Pierre et Marie Curie, Université Paris 06, F-75005 Paris, France, and 3Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, Unité Mixte de Recherche S893, Equipe 9, Faculté de Médecine Pierre et Marie Curie, Site Saint Antoine, F-75012 Paris, France
Journal of Neuroscience, 21 janvier 2009